C’est ainsi qu’aurait pu s’appeler ton histoire.
Car c’est une histoire d’amour. Un amour incommensurable. J’espère que tu l’as ressenti.
Ton histoire commence avant ta conception, dans le désir d’un nouvel enfant. Pourquoi? Nous en avions déjà trois qui nous comblent, une vie qui fonctionne bien comme ça, un équilibre. Pourquoi venir y ajouter un bouleversement, des moments d’inquiétudes, des nuits blanches, des pleurs, des cris, des contraintes, des frais? Nous avions tout pour être heureux mais avions l’envie folle d’aimer à nouveau, de construire encore, de prendre soin, de découvrir, de soutenir, de faire grandir, de partager. C’est ainsi que tu as été conçue dans cet amour déraisonnable que nous avions à t’offrir.
La joie du test de grossesse était si intense, nous ne pouvions garder le secret. Une prise de sang pour le confirmer et dans l’instant ton frère, tes sœurs, nos familles et amis sont avertis. Évidemment il y a le risque du début de grossesse mais notre crédo c’est nous sommes heureux, partageons notre bonheur, et s’il devait arriver quelque chose de malheureux nous trouverons du soutien.
Quelques semaines plus tard il nous en faut, decollement du placenta, tu es trop petite pour ton âge mais tu t’accroches, ton cœur bat, le médecin nous dit qu’il finira certainement par s’éteindre, nous pensons à faire une ivg pour t’aider à partir plus vite mais deux jours avant une dernière échographie de contrôle montre des signes positifs, on me dit que le décollement se résorbe, tu grandis. Tu es toujours trop petite pour ton âge alors on change la date du début de grossesse de presque deux semaines. Nous décidons de te laisser ta chance, nous t’aimons déjà tellement.
On m’offre un bola, c’est un collier avec une petite clochette que tout le monde aime faire tinter pour toi. Normalement il doit rassurer le bébé après sa naissance par son bruit familier.
Je te sens bouger très rapidement comme pour me rassurer. Les contrôles se poursuivent tout va bien. A l’échographie du premier trimestre plus de doute. Tout en rentré dans l’ordre. Pas plus de risque pour la suite qu’une grossesse classique nous dit le praticien. On se revoit pour l’échographie du deuxième trimestre.
En attendant nous profitons de ta présence, nous sommes certains de ton prénom à présent, puisqu’il nous a dit que tu étais une petite fille. Tu seras notre Théa, mais c’est encore un secret.
Mon ventre grossit. Je te sens de plus en plus. En classe je suis souvent debout et je m’assieds tous les jours vers 11h pour lire une histoire à mes élèves, c’est à ce moment là que tu te manifestes, ça me redonne de l’énergie et de la joie pour finir la matinée. Je suis heureuse. Je prends du plaisir ces histoires, elles ne sont pas que pour mes élèves, elles sont aussi pour toi.
Les vacances de Noël approchent, je suis fatiguée. Je me fais arrêter par le médecin, je fais un peu de tension comme pour chaque grossesse, mais je veux surtout être au calme, profiter des moments avec toi, que tu ne ressentes que de l’amour et pas du stress.
J’ai hâte d’arriver à la deuxième échographie pour enfin voir ton visage, j’ai juste un peu peur qu’il se soit trompé et que tu ne sois pas une fille, tu es déjà notre Théa. D’ailleurs ta sœur Anna à découvert ton prénom, nous ne savons pas comment… Je vais sereine à cette échographie, ton papa ne peut pas être là mais ce n’est pas grave. Tu peux avoir toutes les malformations possibles mais rien au cerveau car tu bouges tellement !
Je passe des heures allongées à te regarder bouger à travers mon ventre. Certaines mamans à mon terme ne sentent toujours pas leur enfant bouger, j’ai l’impression que pour moi ça fait une éternité.
À l’écho il y a un problème c’est le cerveau, tout s’enchaîne, prise en charge à l’hôpital, examens… on doute…
Ma première pensée est peu importe ce qu’ il se passera tu es notre enfant et je veux que tu le saches, je veux qu’on profite de toi chaque jour. Je veux continuer à te parler, à te sentir, à te faire vivre. Je veux que tout le monde connaisse ton prénom, que tu existes pour chacun. Ton papa n’est pas d’accord au début, tu n’es qu’a nous. Il voudrait s’épargner de la souffrance et aux autres aussi, ne pas te voir, ne pas prendre en charge tes obsèques. Je le comprends, je l’accepte. Mais je vie pleinement mon amour pour toi, je ne peux pas me protéger, je t’aime déjà. Te perdre maintenant ou dans trois mois ça sera pareil pour ma douleur sauf que je ne suis pas prête. Il me comprend, il accepte. On ne se protège pas de l’amour.
Impossible de faire un choix, malgré le pessimisme des médecins, chaque jour nous étions prêts à accepter un handicap plus grand. C’est ta souffrance qui nous a décidé, si tu survivais à la naissance ce qui était peu probable, les pédiatres n’étaient pas sûr de pouvoir soulager ta douleur.
Nous avons pris 6 semaines avant de te laisser partir. Elles ont été intenses, douloureuses mais remplies d’amour. Tu as beaucoup bouger pendant ce temps là, réagissant à la voix et à la main de ton papa. Tu aimais particulièrement quand je chantais le soir pour endormir ta soeur Alix. « Ferme tes jolis yeux, car les heures sont brèves au pays merveilleux, au doux pays du rêve. » Pendant ces semaines je t’ai parlé, j’ai dégusté chaque repas pour te faire découvrir de nouvelles saveurs, je t’ai câliné, j’ai rigolé le plus possible, même si j’ai souvent pleuré, je voulais te faire découvrir la vie à travers moi.
La veille de ta mort, j’ai passé la nuit à l’hôpital. J’ai décidé que ce serait une nuit d’amour et de paix, tu ne méritais pas le stress et désespoir. Je n’ai pas accepté les médicaments. Rien qui pouvait te faire du mal. D’ailleurs je continuais à faire attention à la toxoplasmose et à la listériose…
Cette nuit là, je t ai parlé pour tout t’ expliquer, c’est la première fois que j’y arrivais, j’ai chanté, je t’ai câlinée et bercée dans mon ventre.
Le jour de ta naissance, pendant que tu t’envolais j’ai réussi à fredonner ta berceuse, tu ne peux pas savoir comment ça m’a fait du bien de savoir que tu es partie paisiblement, accompagnée par ma voix et tout mon amour.
Nous t’avons ensuite accueilli dans l’amour. Ton papa qui ne voulait pas te voir au début a finalement coupé ton cordon, t’ a câlinée, portée, habillée, parlée, accompagnée jusqu’à la tombe où il a déposé ton cercueil. Je t’ai laissé mon bola pour te rassurer.
Avant ça je ne pensais pas pouvoir rencontrer de la beauté dans la mort, mais tu es la rencontre de l’amour dans la mort. Notre amour vit toujours même à travers la mort.
Et nous avons encore cette envie folle et déraisonnable d’aimer, de faire grandir, d’accompagner un nouveau petit être. Nous savons que la prochaine fois nous aurons perdu notre insouciance mais nous savons également qu’une nouvelle fois on ne pourra pas se protéger de l’amour et que l’enfant qui viendra ne méritera que de ressentir de l’amour, comme toi tu ne méritais que ça.
J’espère de tout mon cœur que tu as ressenti notre amour, c’est le mieux que l’on pouvait t’offrir.
écrit par Aurélia Gouyer.