Dans le courant du mois d’avril 2020, j’ai eu un jour de retard. Je n’ai aucun doute, je sais que je suis enceinte. Mon compagnon est fou de joie, moi je suis un peu stressée, je me pose mille et une questions pour mes premiers pas dans la parentalité.

La grossesse se déroule sans aucun problème, sans aucun des symptômes négatifs de grossesse. Par contre la relation de couple, elle, se dégrade nettement, de nombreuses disputes. Je me sens sous pression, extrêmement triste et stressée. J’essaie d’avertir mon compagnon et notre entourage, mais, aillant une grande aisance à contenir mes émotions, personne ne prend la mesure de mon mal-être.

Pour fuir les problèmes du domicile, je me lance corps et âme dans le travail. Je suis infirmière au CHUM en pleine épidémie de Covid et de dengue. Je travaille ainsi minimum 8h30 par jour malgré la grossesse. Un samedi, lors de ma 24ème SA, mon compagnon me demande d’arrêter le travail car cela devient dangereux pour le bébé. Je ne l’écoute pas, j’enchaine ainsi mes gardes de dimanche et lundi.

Mardi soir, à 23:00, une énième dispute, c’est celle de trop. Je deviens vulgaire, ce qui n’est pas du tout dans mes habitudes, mais je suis à bout. Puis une envie d’uriner, je vais faire pipi et m’aperçois d’une micro goutte de sang sur le papier. A peine le temps de réagir et je me retrouve par terre, pliée par une violente douleur. Mon compagnon me relève et me rhabille. Une autre douleur, cette fois-ci je hurle. Il appelle les urgences, au téléphone le médecin m’entend crier, il nous dit que les pompiers mettront trop de temps à arriver. Nous nous rendons aux urgences, sur le chemin je perds connaissance.

A l’arrivée, je ne réalise pas où nous sommes (pourtant il s’agit également de mon lieu de travail). Les sages-femmes sont absolument inhumaines « Pourquoi elle crie comme ça ? Je suis sûre qu’elle n’est même pas enceinte ! » ; « Madame, levez-vous svp, il faut écouter quand on vous parle sinon on ne va pas s’en sortir avec vous ! »… jusqu’à l’auscultation, où on m’annonce un RISQUE d’accouchement prématuré. Cette idée me rassure, je me dis qu’il y a donc encore des chances de stopper ces contractions. Pourtant on m’installe en salle d’accouchement, me déshabille et la sage femme me demande de pousser. Je refuse, je sais que c’est beaucoup trop tôt, mais mon compagnon (un peu plus lucide que moi sur la situation) me demande également de pousser, alors je m’exécute. 01:04, naissance de notre fils Sloan (nous n’étions même pas encore d’accord sur le prénom), 615g, il respire spontanément et est emmené directement en réanimation. Je ne le vois pas, je ne réalise pas jusqu’à ce que je vois les larmes couler des yeux de son père.

Nous patientons 2 heures en salle de couche, je me demande s’il est toujours en vie. Je suis ensuite transférée (seule pour cause de Covid) en suite de couche, dans une chambre, à côté d’un berceau vide. Je réalise que mon fils peut mourir à tout instant, je m’effondre, l’infirmière me crache de l’espoir « Mais non il ne va pas mourir, vous n’avez qu’à prier ». Elle refuse que j’aille le voir en réa avant le lever du jour. Je suis donc là, sans téléphone, effondrée (le mot est faible) et terriblement angoissée. Je m’accroche à l’idée que son père l’a sans doute rejoint, et que s’il meurt, il ne sera pas seul. Ce que j’ignore c’est que son père n’a pas trouvé le courage d’y aller, il est donc reparti chez nous.

Vers 05:00, je descends enfin en réa et découvre une boule de courage qui lutte comme un fou pour rester en vie. Il tient à peine dans le creux de deux mains. Le temps s’arrête, j’oublie tout, douleur, tristesse, fatigue, angoisse… J’observe Sloan, silencieuse et admirative, pendant des heures. Les infirmières parviennent à joindre son père, il arrive juste à temps. Lorsque le petit, épuisé commence à respirer lentement par la bouche, les médecins nous proposent de le prendre dans nos bras pour ses derniers instants.

Je le sers donc contre mon torse. Lui et moi sommes entourés par les bras de papa qui lui susurre à l’oreille la chanson de Bob Marley « Baby don’t worry, about a thing… ». Sloan décède ainsi à 10:30. Il sera enterré 2 jours plus tard.

écrit par Mahely.

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